Plusieurs internautes qui visitent ce blog, certains d'entre eux, visiblement nourris à la soupe intégriste, me bombardent de messages pour me sommer, depuis plusieurs jours, de m'exprimer sur le conflit qui oppose, depuis deux semaines, Israël aux terroristes du Hamas. Je n'ai pas voulu le faire jusque-là parce que tout simplement j'ai estimé qu'il fallait prendre du recul par rapport aux événements, comprendre les enjeux et éviter de tomber dans le piège tendu par les fanatiques du Hamas. Ce piège qui pousse aujourd'hui les masses arabo-musulmanes - et elles ne sont pas les seules - à foncer tête baisser dans la rhétorique habituelle, manichéenne qui, soit attise les haines soit élude les questions de fond si ce n'est les deux à la fois. Attitude dominante qui, depuis des lustres, se suffit à condamner le méchant juif tueur de femmes et d'enfants et de solidariser avec le gentil kamikaze du Hamas rehaussé au rang de « résistant ». Comme c'est facile !
Oui comme il est facile et aisé de « condamner » la riposte aux terroristes lorsqu'on est bien au chaud sur son fauteuil à Londres, marchant avec un keffieh, place de la République à Paris ou déambulant au bord du lac Leman, devant les caméras de la télévision suisse romande. Comme il est facile de démêler un conflit dont la complexité n'a d'égal que le pourrissement d'une situation qui semble inextricable. Comme il est facile d'attiser les haines, d'appeler à la guerre, au djihad lorsqu'on ne craint pas de recevoir une roquette sur la tête ou une rafale de kalachnikovs. Comme il est facile d'aller pérorer tel un Tariq Ramadan sur les fauteuils de Frédéric Taddeï en instrumentalisant l'émotion que suscitent les images insoutenables qui nous parviennent. Et comme il est facile enfin de crier au « génocide », quand on n'a pas subi soi-même les génocidaires intégristes !
J'entends d'ici les cris d'orfraie. Rassurez-vous, je vais expliquer calmement ma position. Je ne suis pas non plus pour un bombardement aveugle et massif des populations civiles. Et si je ne condamne pas la riposte israélienne au Hamas, je regrette profondément et je dénonce le fait que le gouvernement israélien ne prenne pas toutes les mesures pour que les femmes et les enfants, et plus globalement ceux qui ne sont pas armés, soient épargnés par les actions militaires. L'armée d'un État démocratique se doit d'être exemplaire surtout lorsque l'enjeu est de vaincre également, au-delà du Hamas, l'idéologie que véhicule un tel mouvement.
Cela dit, je ne suis pas dupe. Je connais trop le fascisme qui anime ces fanatiques pour croire - d'ailleurs, certains de leurs responsables l'ont avoué - qu'ils utilisent souvent les populations civiles comme bouclier humain. Mais, malgré cela, les Israéliens ne doivent pas tomber dans le piège qui leur est tendu par des fascistes n'ayant aucun respect pour la vie. Et de ce point de vue, l'armée israélienne gagnerait à être beaucoup plus vigilante.
Si j'ai refusé de me prononcer jusque-là, y compris dans certains médias qui m'avaient sollicité, c'est aussi parce que je comptais intégrer cette question dans mon prochain travail journalistique. Si j'ai attendu, avant de donner mon avis, ce n'est donc pas, par « lâcheté », comme l'ont suggéré certains messages, encore moins pour me défiler et ne pas dire ma position. Ce n'est pas dans mes habitudes d'éviter des sujets liés au monde arabo-islamique et bien davantage à l'islamisme. Si je ne me suis pas exprimé sur ce blog, c'est aussi parce que je l'avais déjà fait dans un livre paru aux Éditions Grasset en mars 2007. Intitulé « Combattre le terrorisme islamiste », j'y avais évoqué le conflit proche-oriental et le problème du Hamas. Voici d'ailleurs certains extraits de ce que j'écrivais alors :
« La gestion du conflit israélo-palestinien est entachée d'erreurs similaires à celles qui minent la conduite de la lutte antiterroriste au niveau mondial, avec une donne supplémentaire : la revendication légitime des Palestiniens de pouvoir disposer d'un État viable et souverain. Il est évident que le règlement de cette situation spécifique doit passer par la reconnaissance de ce droit. Par conséquent, le conflit israélo-palestinien doit être considéré à sa juste mesure, c'est-à-dire comme un conflit politique.
La donne religieuse ou idéologique ne doit plus avoir droit de cité que ce soit du côté des Israéliens ou de celui des Palestiniens. Ces aspects ont toujours entravé les discussions et les négociations (...) L'utilisation de la force comme seule politique ne mènera certainement pas vers une solution et risque, au contraire, de radicaliser davantage les positions des uns et des autres. Pour autant, il est évident qu'Israël doit continuer à se défendre contre les terroristes, mais en évitant, dans cette lutte, de leur amalgamer les civils.
Le rôle des États-Unis comme celui des Européens consiste à faire accepter aux deux parties une sorte de longue trêve au cours de laquelle des négociations sérieuses doivent être engagées. Naturellement, il y aura des attentats parce que les islamistes voudront saboter, d'une manière ou d'une autre, toute initiative qui pouvait aboutir à une solution. Devant un tel cas de figure, les gouvernements israélien, américain et européens doivent travailler avec les forces laïques du côté palestinien en renforçant ces dernières, en les crédibilisant aux yeux de leur population, en leur donnant les moyens nécessaires pour lutter contre les terroristes sans que cela conduise à une guerre civile. Une intervention de l'ONU dans les territoires palestiniens permettra peut-être de créer une zone tampon qui éviterait un contact direct entre les terroristes et l'armée israélienne, ou à tout le moins qui rendrait plus difficile ce genre de face à face.
Mais au-delà de l'aspect militaire, il est nécessaire de lancer une action sociale qui couperait l'herbe sous les pieds des islamistes du Hamas. Créer des projets économiques, résorber le chômage, permettre à la population de recouvrer une dignité, lui montrer qu'elle n'est pas esseulée dans sa misère quotidienne, empêcher le Hamas de contrôler les secteurs de l'éducation, de l'information et de la culture, moderniser le système scolaire et universitaire en accordant par exemple des bourses d'études aux jeunes Palestiniens, bref, créer une dynamique qui montre à cette partie de la population, aujourd'hui abreuvée d'idéologie islamiste, que le terrorisme n'est pas une voie à suivre.
Le problème majeur est que ce type de projets est actuellement initié par des islamistes financés par l'Iran ou la Syrie et conditionnés par l'idée qu'il n'y aura « jamais de paix sans la destruction d'Israël ». L'enseignement prodigué aux enfants palestiniens est, à ce sujet, terrifiant : dès la maternelle, leur sont inculqués les principes « du martyre » et de la « guerre sainte » (...) Ce n'est là qu'une ébauche de solutions. Elles ne pourront être mises en œuvre que s'il existe, de part et d'autre, mais aussi du côté de la communauté internationale, une réelle prise de conscience du fait que le terrorisme islamiste ne sera certes pas vaincu par un règlement de la question israélo-palestinienne, mais en sortira considérablement affaibli ».
Voilà donc ce que j'aurais pu écrire, si je ne l'avais pas déjà fait. Et à ces mots, à ces phrases, à ce texte, je n'ôterai aujourd'hui aucune lettre, aucune virgule et aucune syllabe.
Si j'avais à rajouter quelques idées, je dirais que la guerre qui oppose les terroristes islamistes du Hamas et l'État israélien nous livre effectivement, depuis deux semaines, des images insoutenables. Ces images sont tout simplement insupportables. Mais si j'affirme sans ambages, quitte à être définitivement en rupture avec le monde arabo-musulman, que l'idéologie intégriste et ceux qui adhèrent à cette pensée rétrograde sont, à mon sens, les premiers responsables du drame qui se déroule sous nos yeux au Proche-Orient, il serait injuste de ne pas formuler certaines critiques à l'égard de la méthode choisie par le gouvernement israélien pour finir avec les attentats perpétrés par le Hamas. J'ai toujours condamné les opérations suicides et toutes les actions terroristes que mènent depuis plusieurs années les différentes factions islamistes palestiniennes en direction de la population israélienne. C'est là pour moi une position de principe et une cohérence qui refusent de penser, comme le font certains, que le terrorisme est condamnable lorsqu'il frappe en Occident ou dans des pays arab-islamiques et qu'il deviendrait légitime et juste quand il prendrait pour cible des civils israéliens.
Cela étant, quitte à me répéter, il est inconcevable de dire qu'un État, démocratique de surcroit, aurait le droit de bafouer les règles et les lois internationales même lorsque sa sécurité est en danger. C'est la raison pour laquelle, je considère que le gouvernement israélien est en train de se battre contre le Hamas tout en l'alimentant ainsi que l'ensemble des islamistes. Ce que les stratèges de Tel-Aviv ne saisissent visiblement pas, c'est qu'ils nourrissent, à travers leur violente offensive sur Gaza, ce discours intégriste que je ne cesserai de combattre. À voir d'ailleurs comment les plus éminents idéologues islamistes, Youssef Al-Qaradhaoui ou Aymen Al-Zawahiri à leur tête, sautent sur l'occasion pour tenter de mobiliser leurs troupes et en recruter de nouveaux adeptes. A voir aussi la timidité, somme toute compréhensible, de toutes les franges progressistes au sein de monde arabo-musulman et y compris en Europe. Cette guerre, j'en suis convaincu, outre le fait qu'elle servira à jeter toutes les initiatives de paix aux calendes grecques aura permis aussi à l'intégrisme d'emporter, aux yeux des opinions publiques musulmanes, une éclatante victoire. L'islamisme s'est toujours nourri de séquences comme celles que nous sommes en train de vivre depuis près de deux semaines. Israël, malheureusement, n'a pas, à l'évidence, intégré cette réalité dans sa réflexion d'avant-guerre.
Je ne cesse de le répéter. Le terrorisme islamiste ne sera jamais vaincu à travers la seule action militaire, et ce, même si je considère que celle-ci est souvent nécessaire lorsqu'on fait face à un fascisme. Mais qu'a fait Israël, qu'a fait l'Occident et qu'ont fait les pays musulmans pour venir à bout de ce fléau - appelez-le comme vous voulez - qu'est le salafisme, qu'est l'islamisme, qu'est l'intégrisme, qu'est le fanatisme ? Rien. Systématiquement, l'action militaire ponctuelle prend le dessus sur les offensives politiques et idéologiques qui devraient être menées. Les grandes démocraties composent avec l'islamisme quand celui-ci opère ses replis stratégiques et ne le combat militairement que lorsqu'il représente une menace imminente. C'est là un véritable serpent qui se mord la queue. Et même pour Gaza, nous verrons comment tôt ou tard, l'armée israélienne devra mettre fin à son opération, nous verrons que même victorieuse, Israël sortira vaincue au plan politique et au niveau médiatique et nous verrons aussi comment les fanatiques du Hamas, et à travers eux les intégristes du monde entier, vont transformer leur très probable défaire militaire en victoire politique. Mais ce n'est pas tout. Nous verrons aussi comment à terme les islamistes palestiniens vont se reconstruire, comment vont-ils dans un, deux, trois ou dix ans représenter, une fois de plus, une menace pour Israël. Nous assisterons alors à une nouvelle guerre, à de nouvelles scènes d'horreur et de nouvelles manifestations enflammées et passionnées qui accroîtront le fossé existant déjà entre Israël et l'Occident d'une part et le monde arabo-musulman d'autre part. Et, une fois de plus, les islamistes qui, dans l'intervalle, n'auront pas été combattus politiquement rentabiliseront, à leur profit, un énième conflit.
L'absence de stratégie claire et globale de lutte contre l'intégrisme musulman est celle qui va nous mener tout droit vers un pourrissement international qui, lui-même, risque, à terme, de faire naître une véritable guerre de civilisation. J'ai toujours été en désaccord avec la théorie de Samuel Huntington, mais je crains que la lâcheté des uns, l'irresponsabilité des autres et la détermination des fanatiques finissent par créer une situation inextricable. Je me refuse de croire dans la thèse du « conflit de civilisation » et je n'aime pas entendre des discours ayant des relents de « guerre de religion ». Cependant, ce que j'observe - et cette dernière guerre le montre avec acuité - c'est un conflit de valeurs. D'un côté un État moderne et civilisé qui pleure son premier blessé, d'un autre côté des troupes fascistes qui magnifient la mort de leurs propres enfants et qui souhaitent la leur. Je vois d'un côté une société attachée à la vie et d'un autre des terroristes aspirant à la mort. Je vois une société démocratique, certes avec ses lacunes, et un groupe de barbares qui a pris en otage Gaza et sa population en les piégeant. Aucun F16, aucune action militaire, aucune armée, y compris la plus puissante, ne pourra venir à bout, à elle seule et sans politique cohérente et courageuse, de ceux dont l'idéologie dicte cette phrase, très prisée par les islamistes, et qui, dès que je l'entends, me fait bondir : « Nous aimons la mort comme vous aimez la vie ». Israël doit comprendre que si son ennemi préfère la mort à la vie, elle ne doit pas lui accorder systématiquement ce « privilège » qui ne manquera pas de légitimer son discours.
Et si, à l'issue de cette offensive militaire, Israël accepte de discuter avec les barbares du Hamas, là nous pourrons dire que l'islamisme aura définitivement gagné au Proche-Orient. Ce serait catastrophique pour Israël, mais pour l'ensemble des pays démocratiques et des courants progressistes. Mais en ces temps de guerre, j'espère seulement me tromper comme j'espère que le camp de la paix et de la raison finisse par triompher...